L'histoire d'une mère

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latruffe
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L'histoire d'une mère

Message par latruffe »

Tiens, ça faisait longtemps que j'avais pas donné un avis sur un achat (mais d'un autre coté, personne va me le reprocher vu que je suis le seul à le faire :whistle:)

Voici donc "L'histoire d'une mère", de Peter Madsen, c'est le conte d'Andersen.

Image

L'histoire

La mort vient dérober son enfant malade à une mère éplorée. Celle-ci va partir à sa poursuite pour la retrouver et lui reprendre.

Mon avis

C'est un conte et j'avais oublié à quel point un conte est une histoire simple. Tellement simple que le scénario pourrait tenir en une centaine de mots et que ça se sent dans cette BD. On a parfois une impression de vide, de clichés mis bout à bout. Ce n'est pas que je n'aime pas les planches sans texte mais là, le manque s'est fait sentir. Certes, chaque mot est important, d'autant plus important qu'ils sont rares. Certes la conclusion est surprenante mais malgré cela, je trouve que l'on reste sur sa faim.

Reste l'aspect graphique, qui lui est assez réussi. Les planches sont joliement mises en couleur, certains effets visuels sont très réussis.

Mais en bref, je trouve que ça se lit très (trop) vite, même si cela appelle à relecture. 6/10
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Monfreid
goulu
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Message par Monfreid »

tiens histoire de te sentir moins seuls (etcomme j'ai toujours un dossier en préparation dessus)

je metici un avis donné sur 1001 à l'époque

Il n'est pas évident de faire l'adaptation d'un conte, surtout quand l'auteur de l'œuvre originel se nomme Andersen. Loin des adaptations fumeuses et consensuelles de Walt Disney, loin des visions "c'est pour les mômes". Madsen livre ici une des œuvres les plus poignantes de la bande dessinée. Prenant à bras le corps les thèmes et la symbolique profonde d'un des contes les plus sombres du narrateur, offrant un graphisme tout en puissance le dessinateur n'en reste pas moins humble, au service d'allégorie universelle.
Un album émouvant, touchant le cœur.

Andersen, n'est pas un gars sympa, il hante encore les nuits de bons nombres d'entre nous avec ses histoires sinistres à souhait. Ne prenant pas les enfants pour de "pauvres petites choses sans défenses", il leur destinait des histoires emplies d'une imagerie symbolique pour le moins directe. Les "adultes" ont souvent le réflexe de minimiser la portée de ces propos, de les conserver bien au chaud dans la catégorie des "souvenirs d'enfance", les saupoudrant d'une couche de poussières d'oublis.

A ceux qui veulent préserver l'innocence feinte de leurs jeunes années, je déconseille vivement la lecture de cette adaptation.

Madsen, ne fait pas du "beau". Beaucoup vont s'ébaubir de la qualité de ses couleurs, ils auront raison, l'erreur serait se s'arrêter à la superficialité plastique de l'ouvrage.
Il est vrai que cela nous change des mises en couleurs industrielles, de certains ouvrages, et a le mérite d'affirmer, si besoin en est l'importance de cet élément dans la bande dessinée.

Ici, son littéralement affranchies les notions de traits, dans un retour à l'épaisseur. Il n'est de notion de contour mais bien d'influence et de nuance. Les symboles s'interpénètrent ou se repoussent dans un mouvement continu. Ce n'est pas la mise en image d'une lecture, mais bien celle d'une narration fidèle. Les cases s'enchaînent aussi belle qu'envoûtante, il nous faut adapter notre temps de lecture pour saisir toutes les émotions de ces moments de plus en plus horrible.
Jamais l'ego de l'illustration gratuite ne brandie le spectre de l'enluminure "pour faire joli". Toujours, est respecté l'esprit originel du conte, la noirceur nous guette, les éléments sont floues ne se dégagent pas nettement de leur gangue d'imaginaire.

La représentation à un impact important mais jamais despotique, le lecteur peut s'approprier singulièrement les images de cet album. Cette mère devient un peu la nôtre. Cette quête ne perd pas de son influence, ne se dilue pas dans les images, bien au contraire.

Le parti pris de Madsen est de livrer, un album statique, reposant sur le socle d'un graphisme maîtrisé et d'une fidélité sans faille. Il épouse alors l'aspect déterministe du conte, entraîné par sa beauté on finit par ne plus pouvoir s'en détacher.
Le fait d'avoir des images fortes et "lentes" tranche aussi franchement avec le peu de parole/texte de l'album qui accélère la lecture.

Il n'y a pas seulement une recherche esthétique, mais bien un effort de composition picturale, chaque image renvoyant à un sentiment, une description, un fond aussi chimérique qu'inconscient. Il faudrait pour en cerner les arcanes remonter les structures de l'imaginaire. Ce qu'on ne saurait faire sans dévoiler au lecteur les mécanismes et de l'histoire et de son propre psychisme.

Il n'en reste pas moins que le dessinateur assume parfaitement des choix extrêmes, dont la pertinence n'est pas à mettre en doute.

De la sensibilité de chacun dépendra le "plaisir" lié à la lecture de cet album.
Pour ma part j'y vois l'incarnation parfaite du mot "adaptation", de la passion d'un lecteur, du travail d'un passionnée et de la puissance universelle des contes.

Une œuvre majeure qui mérite une lecture attentive.
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Monfreid
goulu
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Message par Monfreid »

et jemet les spoilersaussi

:wink:


SPOILER DE PARTOUT!

Une première case, une première planche, une première impression qui ne vous lâchera plus de toute votre lecture. Une atmosphère, un ton qui s'impose à nous, ou : pourquoi et comment la mort est elle notre plus fidèle compagne et amie ?

Tout commence comme dans un conte, pas n'importe quel conte.
Le ciel est sombre, le rougeoiement du soleil qui se couche, renvoie à la fin du jour, à la fin d'un monde, la fin d'une vie peut être. Cette maison est seule, on peut en déduire, qu'elle est isolée des autres habitations humaines. Déjà l'intimité est de mise. A la fenêtre, tranchant avec les ténèbres, éclairant celle-ci, une fenêtre jaunâtre semble vaciller mais tient bon. Une note d'espoir dans cette noirceur ambiante.
Il ne s'agit pas d'obscurantisme, nous sommes dans la symbolique de la peinture allemande, plutôt proche du romantisme amoureux de la fin du 19 ième.
Reste qu'il fait nuit, et que ce n'est jamais un bon présage.

On se rapproche de la demeure, la lumière se fait plus chaude, plus jaune. Ce jaune du foyer éternel et terrien qui brûle dans le cœur des hommes, un jaune d'espoir bravant l'obscurité. C'est la couleur de la lumière et de la vie.
Pourtant dès l'instant suivant cette promesse d'une aube nouvelle (celui ou celle qui voit le référence ici à tout mon respect !), l'orange/rouge du crépuscule, du déclin de la vie, reprend ses droits et entre avec nous dans le logement!

Une page, quatre cases, pour nous dire que la mort va frapper et que nous en suivons les traces.

Une page, pour nous faire cesser tout autre activité. Une mise en couleur sublime, d'une densité tout tactile, tout en épaisseur, en couche, en dimension, en force. Les ténèbres ne s'annoncent pas, elles nous envahissent. Ce n'est plus de la mise en bouche, c'est l'oraison funèbre qui s'invite à domicile, allons plus loin: tournons la page.

Le temps s'allonge, les mains se tordent. Peu à peu la flamme de vie à peine éclose vacille déjà. Comment ne pas songer à la verticalité de la vie selon Bachelard ? A cette énergie élémentaire synthèse de vitalité. Une seule flamme, pour moins d'une année, moins d'une minute encore à vivre.
Le temps est compté fatalement.
Ce temps, qui ne tourne plus, qui n'a plus d'axe, de roue autour de laquelle s'enrouler. Ce temps qui s'égrène et s'étend dans le monde…attendant que l'on mette fin à sa ritournelle monotone.
C'est la mélodie, berceuse, voix, chant, souffle de vie que la mère insuffle encore à se fils chéri que la mort appelle.
Jusqu'à cet instant, où les cadres volent en éclat, ou la lumière disparaît, s'échappe de ce corps si fragile…où l'enfant (l'innocence) meure!

Alors, la lueur pâle et bleutée de la lune fait son office, la mort féminine, mère d'entre toutes les mères vient envelopper le corps de son linceul.

Alors, alors, la mère sort de chez elle. Quitte son habitat, ses habitudes, ses préceptes, son carcan, ses attentes, sa tranquillité, son rôle pour s'engager dans la neige.
La neige immaculé et glacée d'un hiver rigoureux, de l'hiver sans fin : avenir des hommes, manteau impassible de la nuit.

Une nuit, femme et mère, elle aussi. Le chant s'élance à nouveau. Le premier sacrifice sera celui de la voix, du chant? Pas celui rassurant et maternel, mais bien celui fondateur du monde, celui qui dépasse la mécanique de la musique pour lui donner du cœur. Ce lien ténu entre la force créatrice et la création elle-même.
La créativité s'échappe de ce corps si frêle. Un chemin de croix s'annonce à n'en pas douter.

Puis vient la forêt, la chevelure de la nature, racine profonde de nos peurs inconsciente, qu'il va nous falloir traverser. Seconde étape de ce périple, qui déjà n'en est plus un, de cette pénitence pour une faute qu'elle n'a pas commise.

Et puis au plus profond de ces peurs, cet enfant horrible, fait d'épine et de conscience. Cet enfant endormi, égrainant les craintes. Cet enfant à qui l'on donne sa vie, son sang en même temps que sa tendresse et son amour. Les épines déchirent la chaire, épuisent le corps, l'assèche. Communion profane avec la mort, perte du "feu intérieur" qui sans va nourrir la beauté de roses éclatantes, symboles d'une régénération profonde. La plaie se déplace dans une mise en case des plus réussit, des plus muettes, des plus émouvante qui soit!
La perte du corps.

De ce corps mécanique qui gravit les derniers sommet, avant l'avenir la mer, l'océan ce mouvement indéterminé et insatiable. Le repos éternel et divin de ces eaux ne peut être profané.
Et si les larmes sont des perles, les prières ultimes, qu'en dire lorsqu'elles sont les yeux mêmes d'une mère ?
Après sa chaire, elle perd son intellect, son esprit, son individu s'effiloche une fois de plus, sa personnalité par à vau-l'eau.

Un sacrifice de plus, pour une traversée, pour atteindre l'autre rive, la berge salvatrice de ce "styx" universel. Pour mettre le pied dans le royaume de la mort et oublier ainsi toute idée de retour!

Perséphone cueillait des fleurs, lorsqu'elle fut enlevée par Hadès. Les fleurs, symbole de l'âme. Centre spirituel, s'harmonisant au cœur de chacun, par ses couleurs, ses nuances, ses formes. Variation infinie sur un thème unique, celui du cycle de la vie et de la mort, état édénique et transitoires de nos destins.
La mort, cultivatrice patience les préserve des rigueurs de l'hiver et pour ainsi dire les préserves du monde.

Pour accéder à cette serre immense, la mère aura perdu sa chevelure brune pour une plus blanche. Chevelure ultime barrière de la femme, ultime symbole de son être, de sa sexualité, de son intimité et surtout de sa spiritualité (je conseille "la reine des neiges" d'un certain Andersen, sur le sujet !).
La mère n'est alors, plus rien, plus que l'ombre d'elle-même. Elle ne peut plus être réceptacle de la vie, du moment où elle à quitter sa maison, elle à fait le deuil de son rôle. Andersen, nous propose le destin tragique car inévitable, d'une âme en peine. En refusant la fatalité, la mère, l'humanité tend au sacrifice ultime et vain.

La force, le courage mis en œuvre n'amène rien, ne sont que les étapes d'une véritable involution irrémédiable. Braver les éléments, offrir son être à la mort, la devancer, on découvrir les secrets, pour une "cause"…pour le "bien", n'est qu'une illusion.

L'ombre tangible de la mort! Cette hérésie mouvante, est la preuve des limites de la compréhension humaine et pour ainsi dire des méfaits de nos croyances et de nos comportements. (à ce propos y'a un certain Andersen qui à écrit "l'ombre" c'est fou non).

En plongeant son héroïne dans la douleur qu'est la prise de conscience et la lucidité, Andersen moralise son propos, oblige le lecteur à revoir son empathie et ses propres sentiments, l'oblige à prendre en compte les conséquences de ses actes!

Le déterminisme terrifiant qui émane de ce conte, finit de nous glacer les sangs.
Le tout servi par un graphisme et une sobriété de traitement touchant à la perfection!
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Zéas
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Message par Zéas »

Franchement, j'ai tout simplement adore cette adaptation. Contrairement a Latrufe, je ne trouve pas que ca se lise vite. Enfin, je comprends que l'on puisse dire ca parce que c'est rerlativement visuel et qu'il y a peu de texte mais le graphisme est tellement puissant et plein de sens que ca compense largement.
On est comme aspire par le dessin, scotche devant une telle qualite de dessin et une telle "densite" graphique!

C'est tout simplement une de mes meilleures lectures de l'annee...
J'ai eu la chance de voir une exposition sur cette bd a Paris, sur le travail de l'auteur, la recherche graphique et l'explication de certaines cles de comprehension. Quand j'aurai un moment ( :roll: ), je ferai un compte-rendu detaille la-dessus sur bruitdebulles et j'en parlerai ici aussi car meme si l'expo n'est plus d'actualite, ca peut donner envie de lire la bd et ca peut aussi aider a mieux la comprendre... (et puis, j'ai des photos a rentabiliser...)
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latruffe
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Message par latruffe »

Bon, je vais la relire. :roll:
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