Je pousse une porte, où qu’elle soit, j’arrive toujours au même endroit. Dans l’ambiance enfumée du Kadie’s la silhouette de Marv se découpe. Il est au bar en train de boire une bière pendant que Nancy entre en piste. La foule est médusée mais on ne voit qu’elle. C’est ça la magie de Miller un noir représente un foule et une courbe blanche sur un fond uni, le galbe d’un sein.
Et moi qu’est que je fout là ? Je commande un whisky à une ombre de serveuse. Dwight est à la table d’à coté c’est lui qui attire toute l’attention de la vignette et me voilà anonyme sur la planche. Mais j’ai de la chance, c’est une vignette en longueur et j’ai pas complètement disparu. Après tout, j’ai jamais été un héros. Je préfère laisser ça aux autres, surtout dans ce genre de BD.
Au départ j’avais l’idée d’écrire quelques planches comme Miller et me voilà prisonnier de ma propre envie dans une des bandes dessinées les plus noires qui existe. Sacrée vie que celle d’un auteur.
Dwight se lève, Miller se concentre sur son personnage et je sors du cadre. D’un coup ça me fait comme un froid, je me sens mal un peu comme quand on tombe en rade de dope. Mon obsession à l’existence me pousse à le suivre même si j’ai pas vraiment envie d’aller traîner du coté de la vieille ville. Page pleine, noire, un mur qui se découpe ; on change de chapitre, on va directement arrivé à la vieille ville. J’espère simplement que la « mortelle petite Miho » de Dwight a eu son lot de violence pour la nuit.
C’est étonnant comme Sin City devient petite quand on y est. Miller nous laisse imaginer qu’il s’agit d’une immense ville très dangereuse. Et puis finalement on se ballade entre 3 ou 4 coins, toujours à l’écart. Sin City c’est vraiment une ville dessinée et racontée en négatif. Ca me rappelle les diapo que mon père prenait quand j’étais petit. Miller a décidé de nous montrer les exceptions en laissant de coté le plus visible. On se ballade beaucoup dans les alentours, on traîne dans les maisons des richards de la colline, dans la foret, on fait le tour des fermes abandonnées, et bien sûr de la veille ville, petit quartier paumé au milieu d’un invisible océan urbain.
Ici les filles font la loi. Les flics n’ont pas intérêt à pointer leur nez dans leurs affaires sous peine de voire leur voiture transformée en passoire. Et puis quand ça va trop loin elles s’attaquent directement aux curieux trop attiré par l’appât du gain. La veille ville c’est l’endroit où un homme dépense son argent, pas l’endroit où il doit en gagner.
Evidement faut que Dwight y aille. Ca relance l’histoire mais me voilà en personnage secondaire « client potentiel » et j'aime pas passer pour un obsédé. Les ombres des filles du deuxième plan me regardent pendant que Gail est en train de jouer à la guerrière en espérant que cette fois Dwight restera. Mais les histoires de Miller finissent mal et se ne sera pas encore pour cette fois. Il ira voire ailleurs, s’entichera d’une serveuse du Kadie’s qui pourra, enfin, passer au premier plan au tome 3.
C’est finalement difficile d’être personnage secondaire. A la fois spectateur et acteur figurant, le dessinateur ne vous accorde aucune importance jusqu’au jour ou une idée saugrenue germe au fond de son esprit. Là il commence à vous passer du coup de crayon raffiné. Mais il ne faut pas trop se réjouir car on a alors une chance sur deux de disparaître dans d’affreuses souffrances à grands coups d’onomatopée traversant les planches.
Ce mec doit quand même avoir de sérieux problèmes pour aimer à ce point la violence. Beaucoup d’auteurs vous diront que pour écrire il faut souffrir, ils entretiennent donc une forme de dépression de bordure. Ils flirtent avec la limite et pour continuer il faut se rapprocher de plus en plus. Sin City est construit sur ce schéma de souffrance, plus on avance plus on s’enfonce mais on ne peut pas faire machine arrière. Impossible d’oublier Marv tuant un porte flingue à main nue en y prenant plaisir, et pourtant on le trouve sympathique. Miller joue avec ses angoisses et nous les fait généreusement partager. Ses personnage sont cruels et sympathiques.
J’ère actuellement entre le tome 2 et 3 et je sens qu’une idée vient à l’auteur en entamant sa nouvelle planche. C’est pas dur on me voit seul dans une case, assis à une table. Je passe au premier plan. Je suis en train de faire un dessin au canif. L’avantage quand on est un personnage de BD c’est qu’on acquiert la dextérité de son auteur. Quand je dessine dans sin city mes dessins ressemblent à du Miller. Mieux ! Mes dessins c’est du Miller. J’ai l’impression que cet état de fait l’irrite, il voudrait que je dessine mal. Il essaie, use sa gomme de manière frénétique sur le papier qui commence à se tacher mais il n’y a rien à faire, c’est beau. Il pourrait passer le crayon à un de ses potes mais il n’arrive pas à s’y résigner, après tout c’est lui l’auteur.
L’auteur est une sorte de divinité ratée, il aurait aimer diriger un monde, alors il créer un monde de papier sur lequel il est tout puissant. Mais Miller est pris a son propre piège il devient lui même personnage de mon texte. Je referme donc la boucle. D’insignifiant personnage d’arrière plan je deviens l’auteurs des actes de celui qui m’anime.
Et puis, je sens la pointe du crayon de papier quitter la planche au format raisin. Miller abandonne l’idée, il en trouvera sûrement une meilleure demain.

Merci à Monsieur Rodriguez et à on s'incline devant Monsieur Miller notre maître à tous (sauf pour cactus
