et jemet les spoilersaussi
SPOILER DE PARTOUT!
Une première case, une première planche, une première impression qui ne vous lâchera plus de toute votre lecture. Une atmosphère, un ton qui s'impose à nous, ou : pourquoi et comment la mort est elle notre plus fidèle compagne et amie ?
Tout commence comme dans un conte, pas n'importe quel conte.
Le ciel est sombre, le rougeoiement du soleil qui se couche, renvoie à la fin du jour, à la fin d'un monde, la fin d'une vie peut être. Cette maison est seule, on peut en déduire, qu'elle est isolée des autres habitations humaines. Déjà l'intimité est de mise. A la fenêtre, tranchant avec les ténèbres, éclairant celle-ci, une fenêtre jaunâtre semble vaciller mais tient bon. Une note d'espoir dans cette noirceur ambiante.
Il ne s'agit pas d'obscurantisme, nous sommes dans la symbolique de la peinture allemande, plutôt proche du romantisme amoureux de la fin du 19 ième.
Reste qu'il fait nuit, et que ce n'est jamais un bon présage.
On se rapproche de la demeure, la lumière se fait plus chaude, plus jaune. Ce jaune du foyer éternel et terrien qui brûle dans le cœur des hommes, un jaune d'espoir bravant l'obscurité. C'est la couleur de la lumière et de la vie.
Pourtant dès l'instant suivant cette promesse d'une aube nouvelle (celui ou celle qui voit le référence ici à tout mon respect !), l'orange/rouge du crépuscule, du déclin de la vie, reprend ses droits et entre avec nous dans le logement!
Une page, quatre cases, pour nous dire que la mort va frapper et que nous en suivons les traces.
Une page, pour nous faire cesser tout autre activité. Une mise en couleur sublime, d'une densité tout tactile, tout en épaisseur, en couche, en dimension, en force. Les ténèbres ne s'annoncent pas, elles nous envahissent. Ce n'est plus de la mise en bouche, c'est l'oraison funèbre qui s'invite à domicile, allons plus loin: tournons la page.
Le temps s'allonge, les mains se tordent. Peu à peu la flamme de vie à peine éclose vacille déjà . Comment ne pas songer à la verticalité de la vie selon Bachelard ? A cette énergie élémentaire synthèse de vitalité. Une seule flamme, pour moins d'une année, moins d'une minute encore à vivre.
Le temps est compté fatalement.
Ce temps, qui ne tourne plus, qui n'a plus d'axe, de roue autour de laquelle s'enrouler. Ce temps qui s'égrène et s'étend dans le monde…attendant que l'on mette fin à sa ritournelle monotone.
C'est la mélodie, berceuse, voix, chant, souffle de vie que la mère insuffle encore à se fils chéri que la mort appelle.
Jusqu'à cet instant, où les cadres volent en éclat, ou la lumière disparaît, s'échappe de ce corps si fragile…où l'enfant (l'innocence) meure!
Alors, la lueur pâle et bleutée de la lune fait son office, la mort féminine, mère d'entre toutes les mères vient envelopper le corps de son linceul.
Alors, alors, la mère sort de chez elle. Quitte son habitat, ses habitudes, ses préceptes, son carcan, ses attentes, sa tranquillité, son rôle pour s'engager dans la neige.
La neige immaculé et glacée d'un hiver rigoureux, de l'hiver sans fin : avenir des hommes, manteau impassible de la nuit.
Une nuit, femme et mère, elle aussi. Le chant s'élance à nouveau. Le premier sacrifice sera celui de la voix, du chant? Pas celui rassurant et maternel, mais bien celui fondateur du monde, celui qui dépasse la mécanique de la musique pour lui donner du cœur. Ce lien ténu entre la force créatrice et la création elle-même.
La créativité s'échappe de ce corps si frêle. Un chemin de croix s'annonce à n'en pas douter.
Puis vient la forêt, la chevelure de la nature, racine profonde de nos peurs inconsciente, qu'il va nous falloir traverser. Seconde étape de ce périple, qui déjà n'en est plus un, de cette pénitence pour une faute qu'elle n'a pas commise.
Et puis au plus profond de ces peurs, cet enfant horrible, fait d'épine et de conscience. Cet enfant endormi, égrainant les craintes. Cet enfant à qui l'on donne sa vie, son sang en même temps que sa tendresse et son amour. Les épines déchirent la chaire, épuisent le corps, l'assèche. Communion profane avec la mort, perte du "feu intérieur" qui sans va nourrir la beauté de roses éclatantes, symboles d'une régénération profonde. La plaie se déplace dans une mise en case des plus réussit, des plus muettes, des plus émouvante qui soit!
La perte du corps.
De ce corps mécanique qui gravit les derniers sommet, avant l'avenir la mer, l'océan ce mouvement indéterminé et insatiable. Le repos éternel et divin de ces eaux ne peut être profané.
Et si les larmes sont des perles, les prières ultimes, qu'en dire lorsqu'elles sont les yeux mêmes d'une mère ?
Après sa chaire, elle perd son intellect, son esprit, son individu s'effiloche une fois de plus, sa personnalité par à vau-l'eau.
Un sacrifice de plus, pour une traversée, pour atteindre l'autre rive, la berge salvatrice de ce "styx" universel. Pour mettre le pied dans le royaume de la mort et oublier ainsi toute idée de retour!
Perséphone cueillait des fleurs, lorsqu'elle fut enlevée par Hadès. Les fleurs, symbole de l'âme. Centre spirituel, s'harmonisant au cœur de chacun, par ses couleurs, ses nuances, ses formes. Variation infinie sur un thème unique, celui du cycle de la vie et de la mort, état édénique et transitoires de nos destins.
La mort, cultivatrice patience les préserve des rigueurs de l'hiver et pour ainsi dire les préserves du monde.
Pour accéder à cette serre immense, la mère aura perdu sa chevelure brune pour une plus blanche. Chevelure ultime barrière de la femme, ultime symbole de son être, de sa sexualité, de son intimité et surtout de sa spiritualité (je conseille "la reine des neiges" d'un certain Andersen, sur le sujet !).
La mère n'est alors, plus rien, plus que l'ombre d'elle-même. Elle ne peut plus être réceptacle de la vie, du moment où elle à quitter sa maison, elle à fait le deuil de son rôle. Andersen, nous propose le destin tragique car inévitable, d'une âme en peine. En refusant la fatalité, la mère, l'humanité tend au sacrifice ultime et vain.
La force, le courage mis en œuvre n'amène rien, ne sont que les étapes d'une véritable involution irrémédiable. Braver les éléments, offrir son être à la mort, la devancer, on découvrir les secrets, pour une "cause"…pour le "bien", n'est qu'une illusion.
L'ombre tangible de la mort! Cette hérésie mouvante, est la preuve des limites de la compréhension humaine et pour ainsi dire des méfaits de nos croyances et de nos comportements. (à ce propos y'a un certain Andersen qui à écrit "l'ombre" c'est fou non).
En plongeant son héroïne dans la douleur qu'est la prise de conscience et la lucidité, Andersen moralise son propos, oblige le lecteur à revoir son empathie et ses propres sentiments, l'oblige à prendre en compte les conséquences de ses actes!
Le déterminisme terrifiant qui émane de ce conte, finit de nous glacer les sangs.
Le tout servi par un graphisme et une sobriété de traitement touchant à la perfection!