Je pense que le principal problème c'est l'ambition que tu fixes à la BD...
Quels sont les atouts de Blankets ?
I du point de vue de la dramaturgie
pour arriver à couvrir tout le propos je suppose qu'on pourrait dire les errances de l'adolescence avec cette naiveté raffraichissante si tu la prends sans réfléchir.
Mais c'est plus complexe que celà
Craig te donne un premier amour , une enfance sous le poids de la religion et une relation avec son frére .
Les 3 sont indissolublement liés ne serait ce qu'à travers l'objet clé : blanket . La couverture : cette couverture c'est aussi bien celle qu'il était l'objet de tous les conflits avec son frére et qu'il va pourtant partager avec bonheur dés lors qu'ils ne se plus obligés de dormir ensemble et celle que lui offre Raina la seule chose qu'il ne brulera pas.
Son premier amour est marqué par tous les défauts des premier amours: naiveté excessive : timidité , envie de découvrir l'autre et en même temps appréhension , sentimentalisme débordant mais surlequel on ne peut trouver de véritable raison ni mettre de mot tout simplement parce que comme la majorité des premiers amours il est seulement basé sur la curiosité , excés de sentiment qui va jusqu à écraser un des partenaires qui va vouloir s'en débarassser (ici raina) parce qu'il a évolué et amour qui se délite normalement par le simple fait de l'éloignement.
Comme la majorité des premiers amours il est extremment superficiel en soi ! Il n'y a pas d'explication réelle ou plutot celle ci n'est pas avouable.Et il disparait de la même manière qu'il est apparu. Sauf que c'est ça un premier amour : ça n'est en aucun cas un modéle de l'amour. Une personne qui aimerait comme ça à 40 berges serait un abruti complet. Il n'aurait pas évolué psychologiquement : c'est un point de passage nécessaire mais en aucun cas un objectif définitif.
Mais c'est ce même amour qui va le faire évoluer : le spectacle de la famille désolée de Raina et ses commentaires l'inciteront à redécouvrir son frére ("a total stranger") , son christianisme est remis en cause par les questions anodines de raina qui insuffle les débuts du doute en lui (Pourquoi c'est Eve la fautive? si un enfant meurt comment peut il aller au paradis vu qu'il ne croit pas etc..)
II * du point de vue du médium
y a au moins une idée fondamentale sur la BD toutes les 10 pages dans blankets !
S1 l'énorme point fort : l'imagination de l'ensemble . La symbiose parfaite de l'imagination et du réel !
je n'ai jamais rien vu d'approchant.
#si tu prends un medium linguistique au lieu d'un medium graphique alors tu gagneras en cohérence et en fluidité mais tu n'auras pas l'évidence de l'image (la même évidence dont jouit la musique tonale )
# si tu prends un medium graphique autre que la BD alors
-soit tu sors des vrais arts narratifs (la peinture , la scuplture,etc..)
- soit tu t'exposes à créer une différenciation nette entre le réel et l'imaginaire : regarde les derniers films utilisant les séquences de synthése intégrale (spiderman) voire pire le fond bleu (star wars) .Il y a des milliers de chose qui te font sentir que c'est du chiqué .
Mais lorsque craig est en adoration devant raina qui devient une madone ou bien lorsqu'ils prennent des postures bibliques avec son frére il n'y a aucune différenciation . Son imagination d'enfant recouvre le réel de cauchemard ou de rêve ...
A tout moment dans Blanket tu bascules dans l'évasion du rêve : je n'ai vu ça que dans Calvin et Hobbes dont d'ailleurs une des séquences se retrouve avec le retour de Craig et la voiture qui quitte la carte pour tomber dans les nuages .
S2 la sensualité de l'ensemble :
que ce soit au niveau de la composition ou bien au niveau des courbes craig livre une véritable ode au corps féminin : chaque courbe de raina est exposé ... Tu sens sa passion.
-Mais pas seulement ... Le caractére tumultueux de sa relation avec son frére , la neige : tout se ressent dans
- J'adore analyser une oeuvre et j'ai une sainte horreur de ceux qui défendent une oeuvre artistique seulement en raison du théme qu'ils abordent (comme indigéne derniérement) indépendemment du traitement qu'ils sont incapable de présenter et de défendre. mais
parfois la beauté s'impose absolue , évidente .
Qu y a il à décrire verbalement dans une première étreinte ? c'est uniquement de l'ordre du ressenti . Ce sont les mots qui gachent tout. Le traitement de cette étreinte devait faire prévaloir la sensation pure . Blankets est une ode à la sensation .
S3 En vrac d'autres idées propres à la BD : tout autre medium n'arriverait pas à faire passer les même idées
- page 164 :
le caractére non nécessaire de la linéarité
regarde l'ordre de lecture des cases lorsque Raina raccroche
aucun dialogue mais le simple montage des cases fait passer un double niveau de sens : Raina est isolé dans le froid , sa famille s'effondre. Craig est isolé dans sa famille qui dort et se satisfait de la vie de tous les jours sans comprendre ses aspirations . Enfin tous deux regrettent la rupture de la connexion téléphonique , cet espace immense qui les séparent et le manque qui en résulte .
Mais ce n'est pas tout et plus fort encore : contrairement à la plupart des arts narratifs , cinéma et littérature en tête , la BD n'est pas nécessairement un art linéaire ! en l'espèce aucun sens de lecture ne s'impose . Tu peux d'abord lire dans le sens du manque OU d'abord lire dans le sens de l'incompréhension .
(jimmy corrigan faisait déjà passer la même idée mais de maniére plus évidente et plus expérimentale au détriment du récit)
Une personne qui lit à la fois des mangas , des manhwa et des BD comprendra au bout d'un moment ce caractére non imposé du sens de lecture mais il n'en tirera pas nécessairement toutes les conséquences . Je t'invite à lire MacCloud sur ce point : la BD a beaucoup à explorer sur ce point .
Pour moi le plus abouti reste encore l'immeuble d'en face sur ce point avec les tranches de vie que tu peux lire dans plusieurs ordres . Mais même là on n'arrive pas à tirer la quintessence de cette régle.
- page 183 :
- page 304 à 306 :
la gestion de la page
la aussi aucun autre medium ne peut le faire
C'est toi qui choisit quand tu veux le faire : la littérature est indifférente par principe à gérer la page quoi qu'elle puisse le faire . Chaque édition d'un livre a une mise en page différente.
Ici tu partages les affres de craig et ce petit encart à droite t'indiques une raina hors champ . Tu es en attente . Mais c'est toi qui choisi quand tu tourneras la page .Comme Craig qui est en attente : et à ce moment là la beauté de raina s'imposera à toi , la suprise totale .
- page 345 :
le langage iconique
Craig parle des poémes mais en silence il adresse toujours ses compliments à raina . Là encore tu pourrais le faire dans un autre medium mais qu'est ce que ce serait maladroit ! tu as les 2 niveaux en même temps! (You are)beautiful I love (you)them . . Comment est ce possible ? grace à l'icone (pour réemployer le langage de mac cloud ) de la pensée : ce petit nuage . Ca n'existe pas en littérature . Ca donnerait lieu à une voix off maladroite en matiére de cinéma ne serait ce que pas ce qu'elle imposerait un différé qui n'existe pas.
Oh à priori ça semble risible mais le langage iconique est un des leviers les plus puissants de la BD . Nous avons des centaines d'icone pour représenter la vitesse , la colére , la pensée etc... Et comme en matiére de programmation ces petites fonctions anodines correctement employées peuvent être extremment puissantes . C'est juste qu'elles sont sous employées . Craig en utilise plusieurs de maniére puissante : ce passage là est mon préféré de ce point de vue.
III conclusion
Alors qu'est ce qu'il manque ? un amour profond ! une réflexion sur l'engagement etc... Mais il s'agit d'un premier amour avec tout ce qu'il comporte de naiveté , d'égoisme et de superficialité . D'où une première déception pour toi et Monfreid dont j'ai lu les critiques de say hello to BJ et berserk et qui apprécie plus de substance.
que manque il d'autre ? plus de dialogue ! cela rejoint pour partie le précédent point .
Sur ces 2 points Monfreid se trompe ! surtout sur le 2ème en fait .
Sur le premier je suppute un peu sur sa réaction mai le paralléle qu'il a fait avec Love story me fait dire que c'est bien cette superficialité qu'il dénonce ....
Mais un premier amour c'est superficiel! Ce qui craint à mort dans love story c'est que ce n'est pas un premier amour mais l'amour d'une vie et c'est qu'il n'y a aucune critique : c'est qu'ils en font un modéle de la passion amoureuse , un modéle assez contestable qui va en plus être plaqué par les lecteurs et les lectrices sur leurs relations quotidiennes engendrant frustations , désillusions ,....
Love story est une bluette dans le mauvais sens du terme .
Blankets est une vrai oeuvre sur le premier amour
Sur le deuxième il fait l'erreur majeur de beaucoup de BDphile : il confond profondeur de la réflexion et place du dialogue . Non seulement je pense qu'une oeuvre peut être profonde sans laisser beaucoup de place aux dialogues . Mais encore à choisir entre image et mot je préférerais toujours l'image .
La BD est un art graphique . Bien qu'elle ait sa singularité elle est quand même plus proche du cinéma que de la littérature à mon sens . Que disait Truffaut ? C'est un film que vous faites !
c'est en image que vous devez le dire ! Une image ce n'est pas superficielle lorsqu'elle bien employée . Je n'ai pas le temps de m'appesentir dessus il faudrait encore que j'écris des pages et des pages.
En revanche beaucoup de BD deviennent trop rapidement verbeuses ! je prends l'exemple de Say hello to BJ que j'aime beaucoup et dont Monfreid fait la critique : bien que j'apprécie cette série les mots bouffent trop la BD .
A choisir je prendrais toujours une BD qui parle peu qu'une BD trop verbeuse (Frank Miller en tête) . Je ne félicite pas les dessinateurs qui ont dit à Monfreid que sans le dessin il ne restait plus grand chose : ce sont des idiots.
Je cloturerais sur Blanket par ceci (c'est trop succint à mon gout tant il y a dire sur blanket mais si tu as lu jusqu'ici je veux abbréger tes souffrances)
-ce que vous n'aimez pas dans Blanket c'est moins le traitement qui est tout simplement parfait que le thème lui même : les premiers amours.Ca c'est une question de sensibilité , pas d'accomplissement artistique . A vrai dire l'amour ce n'est pas vraiment ma tasse de thé en terme de théme artistique mais lorsqu'une de ses facettes est exposé aussi brillamment je veux bien .
-à mon sens vous vous méprenez sur l'ambition de la BD :chaque medium est fort dans un domaine particulier .
Vous appliquez les critéres d'autre medium sans vous en rendre compte . C'est à la fois injuste pour le medium et ça le contraint à être sous employé puisqu'il va devoir faire quelque chose où un autre medium est meilleur.
Nombreux sont ceux qui confondent par exemple un bon scénario avec une bonne oeuvre . Il y a des domaines où le cinéma est meilleur (la captation de l'instant ) , la littérature est meilleur (le temps psychologique) la BD est meilleure (l'imagination) .
Ceci dit je serais ravi d'en discuter.